La Souffrance Psychique : récit d’une guerre invisible

Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » — MC 8,27

Il y a des jours où rien ne paraît avoir de sens, la vie semble vidée de toute sa substance. C’est comme être à l’extérieur de soi, de son corps, de se regarder du dehors avec confusion et perplexité…

« Qu’est-ce-que je fous là ? »

Dans ces moments, je ne sais plus qui je suis ni quelle est ma place sur la Terre. Je suis ma propre énigme, un étranger pour moi-même.

Ma cage thoracique, telle une armure de fer, se tend, tandis que du fond de mon cœur monte la douleur, le feu, c’est un magma que ma poitrine peine à contenir : je fais une crise d’angoisse…

« J’enfonce dans la vase du gouffre, rien qui me retienne ; je descends dans l’abîme des eaux, le flot m’engloutit »

Pris d’une terreur mortelle, le cœur battant et le souffle qui s’entrecoupe, mon lit devient le théâtre d’une scène épique, d’une odyssée, d’un naufrage…

Recroquevillé, tremblant et fébrile, mon corps et ma conscience d’adulte paraissent s’étriquer, régresser sous les plis de mes draps. Comme un enfant qui voudrait sa maman, je pleure, je voudrais que l’on me console.

Mais je suis un adulte, un homme, et je ne peux pas me comporter ainsi. C’est du moins ce qu’une voix me dit. Une voix rationnelle, un peu autoritaire, dure, elle m’invite à me reprendre, à me redresser, à me remettre d’attaque !

« La mort et la vie sont au pouvoir de la langue ; qui aime la parole mangera de son fruit »

Proverbes 18, 21.

Je n’aime pas cette voix, je lui en veux, elle n’est pas tendre avec moi. Parfois, elle m’humilie, me culpabilise, me punit. Elle ne me traite pas très bien. Mais d’où vient-elle alors ? De moi-même ? Du dehors ? Du démon ? Pas évident à discerner… Et pourquoi diable est-ce-que je l’écoute ?

Peut-être est-ce la voix à laquelle je suis le plus habitué, celle qui m’est la plus familière et la plus ancienne ; c’est une hypothèse… Quoi qu’il en soit, elle ne me fait pas de bien, ne me rend ni meilleur ni heureux. Elle m’endurcit, me raidit, et m’isole derrière des murs de silence, de honte et de peur. À bien y réfléchir, je crois qu’elle ne m’aime pas non plus.

Néanmoins, une fois la crise passée, lorsque l’enfant aura été maîtrisé, bâillonné, je remettrai mon armure de fer, la façade… Je redeviendrai un homme, un homme fort !

Princes et Princesses

« Ne considère pas (…) apparence ni haute taille (…) Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur »

J’aime l’histoire de David, tout comme l’histoire des deux Joseph (celui de l’Ancien et du Nouveau Testament). Je suis touché par ces figures cachées, négligées, méprisées ou exilées, mais que Dieu regarde…

André Wénin, un Bibliste, théologien, et professeur émérite d’exégèse de l’Ancien Testament et d’hébreu biblique (excusez-nous du peu), fait remarquer que dans l’histoire de Joseph, fils du patriarche Jacob, Dieu paraît totalement absent de l’intrigue. Quand il est mentionné, c’est pour dire : « Le Seigneur était avec Joseph » (Gn 39, 2). Pourtant, ce Joseph a une jeunesse horrible !

Victime de la jalousie de ses frères, il échappe de peu à leur folie meurtrière pour être vendu comme esclave dans un pays étranger. Là-bas, il sera mis en prison, piégé par l’épouse du maître dont il avait l’estime. Celle-ci le harcèle sans ménagement, sexuellement ; on est dans du Me-too garçon! Et comme souvent dans les cas d’agressions sexuelles, la loi du plus fort l’emporte sur la justice. Mais ici, c’est pire, car c’est l’innocent qui se retrouve derrière les barreaux. En Côte d’Ivoire, on dit : « le pauvre a toujours tort ».

Joseph, le roi des rêves

« Où est Dieu ? », pendant que Joseph est sacrifié sur l’autel de la violence des hommes, victime de leurs passions ? Le texte biblique atteste de sa présence dans la faveur que Joseph réussit à trouver où qu’il passe ; dans les cœurs qui s’émeuvent devant lui lorsque tout semble perdu. Une épopée qui connaîtra un dénouement digne d’un conte de fées.

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Joseph, David, Cendrillon, Blanche-Neige… Ces histoires, un peu archétypales, ont des points communs. Tous sont des fils ou des filles à papa. David, comme Blanche-Neige, est beau, mais sa beauté est cachée sous des apparences disgracieuses. Il traîne avec les moutons pendant que ses aînés sont au combat. D’ailleurs, c’est à eux que le Prophète Samuel, séduit par leur allure, sera d’abord tenté de donner l’onction, jusqu’à ce que l’Esprit du Seigneur l’invite à regarder ailleurs, autrement.

Cendrillon, elle, est littéralement identifiée à la cendre qu’elle côtoie en dormant, tel un masque, rappel de sa déchéance et de la misère qui est désormais son lot. Les enfants chéris de jadis, se retrouvent reléguées au rang de servantes, d’esclaves, d’exilés…

Toutefois, ces Princes et Princesses, dont l’identité même est éprouvée par les vils instincts des hommes, survivent ! Comme des diamants sous la roche ou de l’or passé au creuset, ils ne sont pas détruits par le feu. Au contraire, il les révèle et, comme par une force divine, ironique, presque magique, les élève !

Je crois que c’est cela la Providence, ou la grâce : une bienveillance qui accompagne ces enfants dont l’inaltérable dignité semble préservée par le ciel même. Assurément, quelqu’un là-haut les tient dans sa main ; leur Royauté est d’un autre monde.


Quand j’étais sous le figuier

« J’écris pour réussir à dormir »

C’est ainsi que l’acteur Panyotis Pascot justifie son autobiographie. Certains pourraient trouver cette déclaration excessive ou difficile à entendre. Moi, pourtant, je la comprends parfaitement. En effet, ce n’est pas seulement la curiosité qui me pousse à aborder des questions existentielles profondes, c’est une question de survie, c’est pour trouver un chemin. Un chemin pour mon âme ou mon esprit, pour cette part de moi étrangère à sa propre existence en tout cas, et qui la contemple de l’extérieur, suspendue.

Dépersonnalisation ? Peut-être… Quoi qu’il en soit, parler de soi lorsque son intériorité paraît si vaporeuse est un exercice à la fois difficile et périlleux. Comment expliquer ce que l’on ne saisit pas ? Décrire un état qui nous échappe ? Il faudrait que quelqu’un nous connaisse de l’intérieur, nous devine, comme s’il nous avait créés…

« Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais »

Une professeure psychologue nous disait qu’on tombait, flottait ou nageait à l’intérieur de la vie ; je ne me rappelle plus très bien. Quoi qu’il en soit, l’idée était qu’on héritait de l’existence, qu’on ne la possédait pas. J’ai été bouleversé en entendant cela ; d’une certaine façon, elle a validé ce malaise enfoui en moi. Cette difficulté ancienne à m’ajuster à mon propre être, ce sentiment étrange de vide, de flottement, de déconnexion avec lequel je cohabite depuis longtemps et qui me fait si souvent me sentir prisonnier de moi-même.

« Depuis les lointains, le Seigneur m’est apparu : Je t’aime d’un amour éternel ».

Jérémie 31, 3.

Face au désespoir que ma situation peut susciter, tout comme le peuple dont on dit qu’il marchait dans les ténèbres, j’ai vu un jour se lever une grande lumière (Isaïe 9,1) !

Une parole a pénétré les tréfonds de mon âme, elle m’a appelé par mon nom. Ce jour-là, comme la samaritaine, j’ai rencontré quelqu’un qui ne m’a pas juste dit ce que j’avais fait, il m’a révélé qui j’étais (Jean 4,29). Derrière les apparences, les artifices du jeune-homme, il a su voir l’enfant. L’enfant niché au creux de moi, qui avait besoin qu’on lui dise :

Photo de Sincerely Media sur Unsplash

Ma rencontre personnelle avec le Seigneur fut la rencontre avec quelqu’un qui me connaissait depuis longtemps, de toute éternité. Une bonté qui m’avait devancé dans l’existence, et qui m’attendait. En témoigner me reconnecte à un souvenir et à une émotion que je perds souvent, malheureusement.

Toutefois, il suffit, comme parfois dans les histoires d’amour, de repenser aux origines, aux promesses des premiers jours, car au commencement, était une Parole :

« Tu es mon fils ; Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré »

Psaume 2, 7.
« Mon cœur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiance : tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption ». (Psaume 15, 9-10)
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