« L'Esprit de Vérité lui ouvrit et lui fit connaître ce qu'il a coutume de cacher aux sages et aux savants pour le révéler aux tout-petits (...) elle a possédé une telle science des réalités d'en-haut qu'elle peut montrer aux âmes une voie sûre pour le salut. » - Pape Pie XI
Cet été, j’eus l’opportunité de me rendre à Lisieux, en Normandie, sur les terres de Thérèse Martin, devenue Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, lors de son entrée en religion.
C’est l’une des figures les plus influentes du catholicisme et de son panthéon de saints, fait d’autant plus marquant au vu sa courte vie. En effet, née en 1873, la native d’Alençon s’est éteinte à 24 ans. Canonisée en 1925, elle est déclarée Docteur de l’Église par le Pape Jean-Paul II, le 19 Octobre 1997.
Première Rencontre
Thérèse et moi, c’est une histoire qui remonte à l’enfance, quand lors d’une visite chez mes grands-parents, je tombe sur une bande dessinée relatant la vie de la jeune sainte. J’étais alors très loin de me douter, ni de sa renommée, ni de l’impact que cette illustre inconnue aurait sur ma vie future.
C’est bien plus tard, lorsque je suis confronté à un choix de vie important, qu’elle refait son apparition. À ce moment-là, je contemple l’idée de m’expatrier pour poursuivre mes études, je pèse le pour et le contre. Ce serait la première fois que je quitterais mon cocon familial, mon pays, que je prendrai l’avion… Tout un tas de choses qui me font peur, surtout l’avion, j’en ai une peur panique depuis l’enfance, une vraie phobie.
On est en 2013, je me rends à la messe avec ma mère et c’est la fête patronale de Thérèse, chose que j’ignore. Pendant l’homélie, le célébrant nous rappelle des éléments de sa vie, en particulier la grande confiance qui la caractérise. Pour illustrer cela, le prêtre aura ces mots :
« C’est comme un jeune qui doit partir en voyage, il a peur de l’avion, mais choisit de faire confiance à Dieu, de s’abandonner. Bien vite, il se laisse emporter, au-dessus des arbres, des nuages… ».
Incroyable, mais vrai ! Ce jour-là, j’ai reçu un merveilleux clin d’œil du ciel, un signe qui m’a rassuré et m’a permis d’avancer, de sauter le pas, le pas de foi…
Cette grâce, la force de partir, comment ne pas l’attribuer à la médiation de Thérèse, quelchose s’est scellé entre nous ce jour-là.
Le Dieu de Thérèse
« Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi » (Pr 9,4)
Quelques années passent, beaucoup de choses ont changé entretemps. J’ai quitté le nid, je vis à l’étranger, mais surtout, ma vie spirituelle est en ébullition. Marqué par une puissante expérience de Dieu, je suis pris d’un zèle missionnaire, je veux le servir, partager, témoigner. Cependant, je me retrouve aux prises avec une communauté de prière avec laquelle je vis des tensions. J’en ressors fragilité, confus, un peu traumatisé même.
Je ne sais plus très bien qui est Dieu. L’image qu’on m’en a renvoyé s’éloignant trop de mon expérience personnelle, je suis perdu. L’effusion de lumière a laissé place aux ténèbres du doute. Toutefois, au détour d’une visite chez un ami, je tombe nez à nez avec l’autobiographie de la Sainte : Histoire d’une âme. Ni une ni deux, je m’en saisis et la dévore !
Dès les premières lignes, les premières pages, je me retrouve : en Thérèse, en ses doutes, sa sensibilité, son cheminement intérieur, sa voie…
« Je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie, bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle »
À l’époque de Thérèse, au XIXe siècle, on exalte la perfection et la justice de Dieu, ainsi que les prouesses spirituelles. La jeune femme a cependant l’intuition que Dieu est Amour et Miséricorde et c’est cette vision de Dieu qui lui inspirera ce qu’elle appellera la petite voie : une spiritualité orientée vers l’acceptation humble de ses faiblesses, l’abandon confiant et la dépendance à la Miséricorde Divine.
Dans le testament spirituel de la sainte, je retrouve le visage du Dieu que j’ai connu ; par elle, ma foi au Dieu d’Amour est restaurée. Libéré, guéri, ma vie spirituelle retrouve un cap !
« Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit… je l’aime !… car Il n’est qu’amour et miséricorde !» – Lettre 266, SAINTE THÉRÈSE.
D’Adzopé* à Lisieux
Jamais je n’aurais pu imaginer vivre pareille histoire avec celle que j’ai découverte dans les pages feutrées d’une bande dessinée à Adzopé, chez mes grands-parents. Aujourd’hui, j’ai beaucoup d’émotion à contempler la façon dont la Divine Providence a placé Thérèse Martin sur ma route.
En elle, j’ai trouvé une amie et une sœur de cœur. Notre histoire est un témoignage de la dimension familiale de l’église, du lien spirituel qui unit ses membres en Dieu, par-delà le temps et l’espace, c’est la Communion des Saints ! Ainsi, ce que nous professons dans le credo, Thérèse, me l’a fait toucher du doigt.
Je vous laisse donc imaginer mon excitation, quand j’eus l’opportunité de me rendre sur les terres qui l’ont vue grandir et de découvrir sa ville, son couvent, sa maison, sa chambre…
Lisieux est pour moi ce que le Vatican ou Lourdes sont à d’autres. Je m’y rendis pour la première fois en 2018, puis en 2021, je n’y étais pas retourné depuis.
C’est ce que l’on peut lire sous le portrait qui nous accueille, quand on pénètre le musée dédié à Thérèse, à l’intérieur du Carmel, le couvent dans lequel elle vécut jusqu’à sa mort. Cette phrase, je crois, nous dit tout ce qu’il y a à savoir sur la Sainte.
Thérèse, c’est la Sainte de la proximité, et la dynamique des lieux de son passage en sont une parfaite illustration. Il y a peu ou pas protocole, hormis le respect des lieux.
Imaginez-vous vous tenir dans l’intimité d’une star comme elle, iconique ! Quand on voit les fortunes que les idôles d’aujourd’hui font payer pour une entrevue, il fait bon se promener chez Thérèse en étant libre… Libre de venir comme on est et de donner ce qu’on a, si on en a.
Dans la maison de Thérèse, tout le monde est le bienvenu, c’est une fille simple, quoique de très bonne famille ! Mes amis et moi fûmes consternés par le décalage entre les origines bourgeoises de la Sainte et la simplicité de la vie religieuse qu’elle et toutes ses sœurs choisirent d’embrasser, par amour pour les richesses du ciel !
Louis et Zélie Martin, les parents, canonisés, eux aussi par l’Église Catholique, nous livrent ainsi un enseignement : les biens de ce monde, quand on sait leur accorder leur juste place, ne constituent pas un obstacle à la sainteté.
Comme Marie et Joseph, parents de Jésus, ils démontrent qu’il est possible de devenir saint dans l’ordinaire de la vie de couple, familiale, professionnelle. En témoigne leur devise : « Dieu premier servi ». La sainteté ne discrimine pas.
« la richesse ne fait pas le bonheur, car j’aurais été plus heureuse sous un toit de chaume avec l’espérance du Carmel qu’auprès des lambris dorés, des escaliers de marbre blanc, des tapis de soie, avec l’amertume dans le cœur... Ah ! je l’ai senti, la joie ne se trouve pas dans les objets qui nous entourent, elle se trouve au plus intime de l’âme, on peut aussi bien la posséder dans une prison que dans un palais » – Manuscrit A, 65, SAINTE THÉRÈSE.
Un Retour aux Sources
Retourner à Lisieux cette année n’était pas dans mes projets, mais quand des amis de passage me proposèrent de les accompagner, j’accueillis l’opportunité.
Parfois, le Seigneur prend la posture de celui qui sollicite… Je peux d’ailleurs témoigner de nombreuses occasions où, en acceptant de me rendre disponible ou d’être bousculé dans mes plans, c’est moi qui, ironiquement, fus béni à la fin.
On peut le voir avec la samaritaine, que Jésus va rencontrer en lui demandant à boire. Il finira par lui dire :
Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : « Donne-moi à boire », c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive.
Jean 4,10
La lettre aux hébreux nous dit d’ailleurs qu’à travers l’hospitalité, certains ont accueilli des anges (He 13,2). Fernand, Maguy, merci d’avoir été ces anges pour moi.
Retourner sur les pas de Thérèse fut un cadeau que je n’attendais pas. Un pèlerinage inespéré, l’opportunité de rafraîchir mon âme, de m’aérer l’esprit après une année chargée.
Ainsi, dans la chapelle du Carmel, face à la Châsse de la Sainte, je fus saisi par l’émotion. Je ne m’étais pas rendu en ce lieu précis depuis six ans. En un instant, je mesurai le temps qui était passé, combien j’avais changé… Un monde me séparait du jeune homme qui s’était tenu là en 2018.
Petit enfant deviendra Grand
Je vous enseignerai comment vous devez naviguer sur la mer orageuse du monde avec l’abandon et l’amour d’un enfant qui sait que son père le chérit. (LT 258)
Quand on revoit une personne après de nombreuses années, surtout si on a que très peu communiqué, il faut parfois refaire connaissance. C’était le cas avec Thérèse, on ne s’était plus parlé depuis longtemps. Il nous fallait une mise à jour, faire un point, l’état des lieux, de ma vie ; ce ne fut guère facile.
La relecture de ces dernières années se mua en une longue prière de supplication, puis d’intercession. Je demandai à Thérèse la force : la force de croire, d’espérer, d’avancer, de vivre ! « Les temps sont mauvais » pensais-je, et je pense ne pas trop généraliser en disant que l’époque que nous vivons ou l’actualité du monde, prêtent peu à l’enthousiasme.
Je ressentis une compassion particulière pour ma génération, pour la jeunesse, pour nos défis et toutes les adversités auxquelles nous devons faire face aujourd’hui, surtout si on a l’audace de vouloir préserver son âme, son intégrité, ses valeurs. Parfois, l’horizon semble tout simplement bouché, point d’alternative à la culture de mort, à la compromission, au péché.
Mais quelle est la crédibilité d’une jeune femme du XIXe siècle, morte dans la fleur de l’âge et qui a passé sa courte vie d’adulte, cloitrée dans un couvent ? Quelle est sa légitimité face aux problématiques de la jeunesse ou de l’église d’aujourd’hui, pourrait-on se demander.
Pourtant, quand on dépasse le romantisme de ses écrits et l’image de midinette qui peut facilement la caractériser, on découvre une combattante, une survivante même !
J’ai beaucoup souffert ici-bas ; il faudra le faire savoir aux âmes…
Thérèse, c’est une fille dont la disparition subite de la mère alors qu’elle n’est agée que de 4 ans, puis l’entrée au couvent de la sœur aînée, maman de substitution, marque au fer rouge. L’enfant est déjà fragile, sensible. Rescapée d’une série de fausses couches, elle frôle déjà la mort à deux mois, pour cause de maladie infantile.
Mais celle que les drames personnels et familiaux auraient pu détruire trouve son Salut dans sa Foi. En Dieu, elle trouve la force de surmonter ses blessures d’enfance et de devenir une Femme Courageuse. C’est dans le mouvement intérieur qui la fait mûrir, un soir de Noël, que Thérèse déclare être convertie.
Dès lors, dit-elle : « Je sentis la charité entrer dans mon cœur et depuis, je fus heureuse ».
Une nouvelle vie commença pour elle…..
« Depuis cette nuit bénie, je ne fus vaincue en aucun combat, mais au contraire je marchai de victoires en victoires et commençai, pour ainsi dire, une course de Géant »
Thérèse Éternelle
Thérèse Martin, c’est un modèle de résilience, c’est comme ça qu’on dirait aujourd’hui.
À travers son testament spirituel, elle donne, comme le psalmiste, de contempler ce que Dieu a fait pour elle, de contempler les Merveilles qu’il est capable d’accomplir dans une âme (Ps 65), même brisée.
C’est une source de réconfort infinie, qui inspire et redonne confiance, en celui qui est au dessus de tout et est capable de tout faire concourir, même le mal, au bien de ceux qui l’aiment (Rm 8,28), qu’Il appelle à son dessein d’Amour.
Je prie que son témoignage et sa prière soutienne tous ceux qui sont en mal d’espérance et que de Jésus, l’Amour de sa vie, elle obtienne des faveurs sans nombre, conformément à la promesse qu’elle fit-elle même :
Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, notre grande sœur dans la vie du ciel, Priez pour nous !
*Adzopé est une ville du Sud de la Côte d’Ivoire, située à 105 km de la capitale économique Abidjan
Photo de Couverture: Par Céline Martin — Archivos del Carmelo de Lisieux, CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=35129680