“Oser désirer tout”

En lisant le livre « Comme des colonnes sculptées » de Claire de Saint Lager, je suis tombé sur un passage qui a particulièrement résonné en moi ! 

Le désir enfin parce qu’il dit quelque chose de notre âme, ne peut s’épanouir que dans une acceptation totale et confiante de ce que nous sommes. Il ne peut être jugé. En jugeant notre désir, nous le mettons à mort. Le chemin du désir est un chemin de réconciliation avec soi1.

Dire le sentiment de libération et d’affirmation que ce passage m’a procuré me parait impossible. Cependant, c’est comme si l’on traduisait avec éloquence, une intuition qui mûrissait déjà à l’intérieur de moi. Qu’on ouvrait pour moi une porte vers laquelle j’avançais timidement…

Le désir, c’est un sujet sur lequel je me questionne depuis longtemps et qui cristallise chez moi, d’énormes tiraillements. D’ailleurs, je ne crois pas être le seul. Il me semble que c’est un mot dont on se méfie, une part de notre humanité avec laquelle on a du mal à s’ajuster ; oscillant entre déni, fuite ou capitulation… 

Mais qu’est-ce-d’abord que le désir ?

Réduit trop souvent à sa seule expression sexuelle, il est défini en philosophie comme « une tension née d’un manque qui vise un objet ou un sujet dont la possession est susceptible de procurer de la satisfaction, donc du plaisir 2» Quoiqu’il en soit, il a une dimension “obsédante” ; raison pour laquelle certains philosophes et maitres spirituels y voient un obstacle au plein accomplissement de l’homme…

Ce que je constate chez certains chrétiens (dont moi), c’est une difficulté parfois incroyable à dire, à confesser ou à assumer ce que nous désirons ou voulons vraiment ! À force de se focaliser sur ce que Dieu veut ou attend de nous, il nous est presque impossible dans certaines situations de reconnaître ou de demander ce que nous voulons. Sous couvert d’humilité ou d’obéissance, nous nous déresponsabilisons souvent sur le Seigneur, attendant de lui qu’il fasse des choix pour nous. Mais Claire de Saint Lager dit quelque chose de vrai et de puissant, nous « jugeons » souvent nos désirs d’avance. 

Cela me semble tout à fait compréhensible d’ailleurs. Nous sommes en permanence bombardés par des informations, des messages et des personnes qui nous disent ce que nous devrions être, ce vers quoi nous devrions aspirer et dans bien des cas, nous finissons par perdre contact avec notre vérité profonde, notre être… De plus, la “loi” ou la souveraineté de Dieu sont souvent perçues comme des chapes de plomb qui ne laissent aucune place à l’expression de nos volontés. 

Face à la souveraine volonté de Dieu, nos désirs ont-ils seulement une place ?

Il est vrai que depuis le péché originel, notre humanité est blessée et que nous sommes aux prises avec de mauvais penchants, des appétits souvent déréglés. Il n’est pas question ici de nier la réalité du péché. Toutefois, j’ai de plus en plus la conviction que le désir, même déviant, se guérit en commençant d’abord par l’admettre et le confesser. Je crois que reconnaître les désirs qui nous traversent, quels qu’ils soient, c’est faire preuve d’humilité. L’humilité, c’est reconnaître ce que nous sommes, ce que nous portons en nous. Être humble c’est dire ce qui est. L’humilité, c’est la vérité ! 

Tiraillés entre ce que nous sommes et ce que nous croyons devoir être, nous nous battons souvent inutilement avec nous-même. Projetant sur Dieu des jugements que nous avons nous-même intériorisé ! Dieu est souverain certes, mais dans la personne du Christ Jésus, Il est venu nous demander : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » 

Oui, contrairement à ce que nous croyons ou ce qu’on nous fait croire, le Seigneur n’a pas une posture systématique de jugement ou de condamnation vis-à-vis de nos désirs ; Dieu écoute ! Non seulement il écoute mais Il est capable de tout entendre : le bon, le mauvais, ce que nous considérons comme dégradant ou humiliant. Sa Puissance, je crois, réside dans sa capacité à nous aimer sous toutes nos coutures. Dieu ne juge pas selon la mesure des hommes ; conformément au portrait spirituel qui est donné de la charité, l’essence même de Dieu, «  il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout… » ( 1 cor 13,7 )

C’est le lieu d’une acceptation radicale de nous-même. Acceptation qui ne signifie pas justification ou complaisance. Mais notre justification est le fruit de la grâce de Dieu, l’effet de son amour, de son Esprit ! Ce que j’aime chez le Christ, c’est que même quant il est confronté à des réflexions ou des désirs mal ajustés, il les accueille et les évangélise. Il ne les bat pas en brèche systématiquement. Il fait toujours preuve de pédagogie, la seule chose contre laquelle il ne peut rien, c’est l’orgueil et le refus. La suffisance des pharisiens et des docteurs de la loi…

« Heureux les pauvres de coeur » (Mt 5,3)

Je crois que si le désir nous met en difficulté, c’est parce qu’il nous arrache à nous-même et nous révèle que nous sommes des êtres de manque et de besoin. Il met une claque à nos sentiments de suffisance et nous oblige à la quête, à la recherche, à la prière, à la relation… Le désir pousse à « demander » et bien souvent, nous en avons soit honte, soit peur. Peur de dépendre d’autrui, d’être à sa merci, d’être rabroué, humilié ou déçu… Le Christ, parole vivante de Dieu vient pour cela nous rassurer :

Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Ou encore : lequel d’entre vous donnera une pierre à son fils quand il lui demande du pain ? ou bien lui donnera un serpent, quand il lui demande un poisson ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ! 

(Mt 7,7-12)

En définitive, Dieu ne nous demande pas de renoncer systématiquement à nos désirs, Il nous invite plutôt à les lui confier dans la prière et à le laisser faire…  Reconnaître le manque qui nous anime mais en confier l’objet et la satisfaction à celui qui pourvoit. Reconnaître “l’urgence” mais oser la patience, demander et savoir attendre. Harmoniser les énergies du désir,  au risque de “manquer sa cible”, apprendre à s’arrêter au seuil de Dieu et de l’autre, dans l’attente d’un don libre, consenti, concédé, dans l’amour !

« C’est Dieu qui fait désirer et c’est Lui qui comble les désirs » – Ste Thérèse de Lisieux


  1. CLAIRE DE SAINT LAGER, « Comme des colonnes sculptées Le célibat, un chemin d’espérance » , Petite pédagogie du désir, Éditions Emmanuel, 2020, pp. 51-58
  2. https://la-philosophie.com/desir-definition

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Photo par Diogo Fagundes sur Unsplash

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